
Publié le 17 juillet 2025
Cet article explore la cuisine de nos grands-mères non comme une simple collection de plats, mais comme un véritable matrimoine culturel. Il analyse la transmission de cet héritage comme un enjeu de mémoire collective, révélant comment chaque recette raconte une facette de l’identité québécoise complexe, des influences autochtones aux traditions familiales. Sauvegarder ces savoir-faire est un acte de préservation de notre histoire vivante.
L’odeur du rôti de porc qui mijote, le bruit familier de la cuillère en bois dans le chaudron, le goût incomparable de la tarte au sucre de notre enfance. Ces sensations ne sont pas de simples souvenirs ; elles sont les fondations de notre mémoire affective et collective. La cuisine de nos grands-mères est le premier livre d’histoire que nous ayons lu, un récit transmis de geste en geste, bien avant les mots. Pourtant, dans un monde où tout s’accélère, ce patrimoine immatériel, ce savoir-faire domestique et essentiellement féminin, risque de s’effacer.
Sauvegarder cet héritage est bien plus qu’un acte de nostalgie. C’est un combat pour la préservation de notre identité, une manière de comprendre qui nous sommes et d’où nous venons. Cet héritage culinaire, qui va bien au-delà des plats les plus connus comme la poutine ou le pâté chinois, inclut aussi des techniques de conservation ancestrales, comme la salaison et le fumage, ou l’histoire des ustensiles qui ont façonné nos cuisines. Il s’agit de reconnaître la complexité et la richesse d’un matrimoine qui a nourri le Québec, au propre comme au figuré. Ce combat est celui de la mémoire contre l’oubli, de la transmission contre la standardisation.
Pour ceux qui préfèrent un format condensé, cette vidéo offre une perspective touchante sur l’importance de transformer un livre de recettes familial en un véritable héritage, complétant parfaitement les réflexions de ce guide.
Pour aborder cet enjeu de manière claire et progressive, voici les points clés qui seront explorés en détail dans cet article, véritable plongée au cœur de notre identité culinaire.
Sommaire : Comprendre et préserver notre héritage culinaire québécois
- L’ADN de l’assiette québécoise : reconnaître les influences autochtones, françaises et britanniques
- Avant la tourtière : l’héritage des Premières Nations dans votre assiette
- Ces plats québécois oubliés que nos ancêtres adoraient
- La cuisine de grand-mère, ce matrimoine que l’on doit célébrer
- Le mythe de la “vraie” recette traditionnelle : pourquoi elle n’a jamais existé
- Plus qu’une tarte à la viande : la tourtière, miroir des Noëls québécois et de leurs régions
- Tourtière ou pâté à la viande ? Le guide pour ne plus jamais les confondre
- Comment transformer les souvenirs de votre grand-mère en un livre de recettes familial
L’ADN de l’assiette québécoise : reconnaître les influences autochtones, françaises et britanniques
Pour comprendre la cuisine de nos grands-mères, il faut d’abord en décoder l’ADN, un métissage complexe façonné par l’histoire. Chaque plat traditionnel est une mosaïque de saveurs et de techniques qui raconte les rencontres, les adaptations et les nécessités de nos ancêtres. Ce n’est pas une cuisine monolithique, mais un carrefour d’influences où dialoguent plusieurs cultures fondatrices. L’historien culinaire Jean-Pierre Lemasson le résume parfaitement :
La cuisine québécoise est le fruit d’un métissage entre les traditions autochtones, françaises et britanniques, enrichi par les échanges culturels avec les États-Unis.
– Jean-Pierre Lemasson, Wikipedia Cuisine québécoise
L’influence française est la plus évidente, avec ses techniques de base comme les ragoûts, les pâtés et l’utilisation du lard salé. C’est l’héritage de la cuisine paysanne de la Nouvelle-France, robuste et réconfortante. L’influence britannique, souvent sous-estimée, a apporté le goût des tourtes à la viande, des puddings et de la pomme de terre, devenue un pilier de notre alimentation. Enfin, et c’est le socle de tout, l’influence autochtone nous a légué les ingrédients fondamentaux du terroir : le maïs, les courges, le sirop d’érable et les techniques de fumage et de séchage du gibier et du poisson.
Cette triple fondation se retrouve dans les ingrédients de base de nos plats les plus emblématiques. Une analyse de la cuisine traditionnelle québécoise révèle que plus de 60% des plats traditionnels québécois utilisent le trio maïs, pomme de terre et porc. C’est la signature de cette cuisine de subsistance, née de la rencontre entre les produits du Nouveau Monde et les savoir-faire de l’Ancien. Reconnaître cet ADN, c’est le premier pas pour apprécier la profondeur de cet héritage.
Avant la tourtière : l’héritage des Premières Nations dans votre assiette
Bien avant l’arrivée des colons français et britanniques, les Premières Nations avaient développé une gastronomie riche, parfaitement adaptée au territoire. Cet héritage est le véritable point de départ de la cuisine québécoise, un socle de connaissances sur les produits de la forêt boréale, les techniques de chasse, de pêche et de cueillette. Oublier cette contribution, c’est ignorer le premier chapitre de notre histoire culinaire.
L’ouvrage de Lysanne O’Bomsawin met en lumière cette richesse, documentant une compilation d’environ 80 recettes ancestrales et contemporaines de la cuisine des Premières Nations du Québec. Ces recettes nous rappellent l’importance d’ingrédients comme le gibier, le poisson d’eau douce, les baies sauvages, la graisse de phoque et, bien sûr, le fameux trio des “trois sœurs” : le maïs, la courge et le haricot, cultivés ensemble de manière complémentaire.

Parmi les plats emblématiques, le Centre de référence en alimentation autochtone souligne l’importance de la sagamité. Comme ils le précisent dans un article de la BanQ sur la cuisine autochtone au Québec, “la sagamité est l’un des plats traditionnels autochtones les plus emblématiques, préparé avec de la farine de maïs et de la viande de gibier.” Ce plat simple et nourrissant illustre parfaitement une cuisine connectée à son environnement. En redécouvrant ces saveurs, nous ne faisons pas que diversifier notre alimentation ; nous rendons hommage à un savoir-faire millénaire qui a permis la survie et l’adaptation des peuples sur ce territoire.
Ces plats québécois oubliés que nos ancêtres adoraient
La mémoire culinaire est sélective. Si la tourtière, le pouding chômeur ou la soupe aux pois ont traversé les générations, combien de recettes familiales et régionales se sont perdues en cours de route ? L’industrialisation de l’alimentation, l’urbanisation et l’évolution des modes de vie ont entraîné une standardisation des goûts, menaçant de faire disparaître des pans entiers de notre gastronomie. Mener une sorte d’archéologie culinaire devient alors essentiel pour exhumer ces trésors oubliés.
Des plats comme la “trempette” (un plat de lard salé et de pain), les “grand-pères dans le sirop” ou encore des recettes spécifiques à base de gibier ou de poissons moins nobles ont peu à peu déserté nos tables. Ces recettes racontaient la vie de nos ancêtres, leur ingéniosité à utiliser toutes les ressources disponibles et leur adaptation aux cycles des saisons. Chaque plat oublié est une page de notre histoire sociale qui se tourne.
Heureusement, des archives permettent de raviver cette mémoire. En explorant des journaux anciens, on peut retrouver les saveurs d’autrefois. C’est ce que confirment les archives historiques du journal Le Canadien datant des années 1920, qui ont permis de republier une quarantaine de recettes de plats réalisés par nos grands-mères et arrière-grands-mères. La redécouverte de ces recettes n’est pas un simple exercice de curiosité ; c’est une manière de se réapproprier un langage, celui des saveurs qui ont bâti le goût québécois.
La cuisine de grand-mère, ce matrimoine que l’on doit célébrer
Le terme “patrimoine” évoque souvent les monuments, les objets et les récits transmis par les pères. Or, dans le domaine de la cuisine, l’héritage est avant tout un matrimoine : un corpus de savoirs, de techniques et de rituels transmis de mère en fille, de grand-mère à petite-fille. C’est un héritage du quotidien, un savoir-faire domestique qui a longtemps été invisible, car confiné à la sphère privée. Célébrer la cuisine de nos grands-mères, c’est donc reconnaître cette lignée féminine comme un acteur culturel majeur de notre histoire.
Ce matrimoine n’est pas seulement technique ; il est profondément humain et affectif. La recette n’est que le support d’une transmission bien plus large : des valeurs de partage, de générosité, d’économie domestique et de résilience. Dans la cuisine, on n’apprenait pas seulement à cuisiner, on apprenait à prendre soin des autres. Cet engagement est encore bien vivant aujourd’hui chez celles qui portent cet héritage.

Le témoignage de la cheffe Lysanne O’Bomsawin, rapporté dans un article sur son livre de cuisine autochtone, est une illustration vibrante de ce matrimoine en action :
Lysanne O’Bomsawin raconte comment elle fusionne traditions ancestrales et cuisine moderne pour valoriser les produits boréals et les savoir-faire des Premières Nations.
Son travail montre que le matrimoine culinaire n’est pas figé dans le passé. Il est vivant, capable de s’adapter et d’innover tout en respectant ses racines. Reconnaître ce matrimoine, c’est rendre justice à des générations de femmes qui, par leurs gestes quotidiens, ont nourri et cimenté l’identité québécoise.
Le mythe de la “vraie” recette traditionnelle : pourquoi elle n’a jamais existé
Nous avons tous entendu cette phrase : “Ma grand-mère faisait la vraie tourtière”. Cette quête de l’authenticité, de la recette originelle et immuable, est une illusion touchante, mais une illusion tout de même. La cuisine de transmission orale est par nature une recette vivante, un savoir-faire qui évolue et s’adapte à chaque génération, à chaque famille et à chaque région. La “vraie” recette n’a jamais existé, car il y en a toujours eu des milliers de versions.
Nos grands-mères ne suivaient pas des instructions à la lettre. Elles cuisinaient “à l’œil”, avec les ingrédients disponibles, ajustant les quantités selon la qualité de la récolte, le nombre de convives ou simplement leur inspiration du moment. Une recette de ragoût de boulettes pouvait varier si le prix du porc augmentait, si une nouvelle épice devenait disponible à l’épicerie du village, ou si un membre de la famille développait une nouvelle préférence.
L’idée d’une recette figée est une conception moderne, issue des livres de cuisine imprimés et de l’industrie agroalimentaire qui cherchent à standardiser les produits. Au contraire, la force du matrimoine culinaire réside dans sa flexibilité et sa capacité d’adaptation. Chaque fois qu’une grand-mère transmettait une recette, elle offrait une base que sa fille ou sa petite-fille allait inévitablement s’approprier et modifier. C’est ce processus constant de réinterprétation qui a permis à notre cuisine de rester pertinente et de traverser les époques. L’authenticité ne se trouve pas dans une liste d’ingrédients figée, mais dans l’intention et l’esprit du plat.
Plus qu’une tarte à la viande : la tourtière, miroir des Noëls québécois et de leurs régions
S’il est un plat qui incarne la cuisine de nos grands-mères et les fêtes de fin d’année, c’est bien la tourtière. Bien plus qu’une simple recette, elle est un véritable phénomène social, un miroir des identités régionales et des traditions familiales du Québec. Chaque famille a sa version, chaque région a ses codes, et le débat sur sa composition peut être aussi passionné qu’une discussion sur le hockey.
La tourtière incarne la richesse de notre patrimoine culinaire et rassemble les familles à chaque Noël.
– Jean-Pierre Lemasson, BanQ, Recettes d’antan du Québec
La tourtière est l’exemple parfait de la “recette vivante” évoquée précédemment. Sa composition varie drastiquement d’une région à l’autre, reflétant l’histoire et les ressources locales. À Montréal, elle est souvent faite de porc haché finement assaisonné. En Gaspésie, le “cipaille” superpose viandes et gibiers avec des couches de pâte. Mais c’est au Lac-Saint-Jean que la tourtière atteint son statut d’emblème régional, avec sa préparation si particulière.
L’évolution de la tourtière du Lac-Saint-Jean comme reflet des traditions régionales québécoises
Une analyse de l’histoire de la tourtière du Lac-Saint-Jean montre comment ce plat est devenu un marqueur identitaire fort. Préparée dans une grande cocotte avec des viandes en cubes (et non hachées), des pommes de terre et un bouillon riche, sa cuisson lente est un rituel en soi. Les viandes utilisées (porc, bœuf, veau, et souvent du gibier) racontent l’histoire d’une région où la chasse a longtemps été une activité centrale. Ce plat emblématique de Noël n’est pas juste un repas ; c’est la célébration de l’histoire culinaire et familiale de toute une région.
Ces variations ne sont pas des “erreurs” ou des déviations d’un original. Elles sont la preuve de la vitalité d’une tradition qui s’est enracinée différemment sur le territoire. Chaque tourtière est une carte d’identité gustative.
À retenir
- La cuisine québécoise est un métissage d’influences autochtones, françaises et britanniques.
- La transmission culinaire est un “matrimoine”, un héritage porté principalement par les femmes.
- La “vraie” recette traditionnelle est un mythe; les recettes sont vivantes et évolutives.
- Des plats comme la tourtière sont des marqueurs forts de l’identité régionale québécoise.
Tourtière ou pâté à la viande ? Le guide pour ne plus jamais les confondre
Le débat est un classique des tablées des Fêtes : ce que vous mangez, est-ce une tourtière ou un pâté à la viande ? Si le langage courant utilise souvent les deux termes de façon interchangeable, il existe bel et bien des distinctions, bien que celles-ci soient flouées par les traditions régionales. Comprendre ces nuances, c’est apprécier la richesse de notre vocabulaire culinaire.
La distinction la plus communément acceptée réside dans la texture de la viande et la taille du plat. En général, on s’accorde pour dire que le “pâté à la viande” est préparé avec de la viande hachée (souvent du porc, ou un mélange porc-bœuf) et cuit dans une simple abaisse de tarte. Il est généralement plus petit et plus simple dans sa composition.
La “tourtière”, quant à elle, désigne le plus souvent un plat plus profond et plus complexe. Dans sa version la plus célèbre, celle du Saguenay–Lac-St-Jean, elle contient des morceaux de viande en cubes et des pommes de terre, le tout mijoté longuement dans un bouillon. Dans d’autres régions, le terme “tourtière” peut désigner un grand pâté à la viande hachée, mais sa confection est souvent plus élaborée pour les grandes occasions. Pour ajouter à la complexité, des plats similaires comme le cipaille du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie brouillent encore les frontières. Finalement, le “bon” terme dépend souvent de l’endroit où vous vous trouvez et de la recette de la grand-mère qui l’a préparé.
Comment transformer les souvenirs de votre grand-mère en un livre de recettes familial
Le plus grand danger qui guette le matrimoine culinaire est l’oubli. Tant que les recettes restent dans la tête de nos aînés, elles sont fragiles. L’acte de les compiler dans un livre de recettes familial est l’étape la plus concrète et la plus puissante pour assurer leur survie. C’est un projet intergénérationnel qui permet non seulement de sauvegarder des instructions, mais aussi de capturer les histoires et les émotions qui y sont associées.
Créer un tel livre est plus simple qu’il n’y paraît et peut devenir une activité familiale incroyablement riche. Il ne s’agit pas de produire un ouvrage professionnel, mais de créer un objet de mémoire unique. Pour y parvenir, une approche structurée est recommandée. Le processus consiste à collecter, tester, et surtout, à documenter le contexte de chaque plat.
Voici un guide pratique pour vous lancer dans cette belle aventure, inspiré des conseils de spécialistes en la matière. Il s’agit de transformer des notes éparses et des souvenirs en un héritage tangible.
7 étapes pour créer un livre de recettes familial à partir de souvenirs
- Rassembler toutes les recettes écrites, manuscrites et les notes de famille.
- Sélectionner les recettes préférées qui évoquent le plus de souvenirs.
- Organiser les recettes par type de plat ou moment familial (ex: “Les desserts du dimanche”).
- Cuisiner chaque recette pour tester, ajuster les détails et traduire les “mesures de grand-mère”.
- Documenter les anecdotes et histoires associées à chaque recette : qui l’a inventée ? À quelle occasion la mangeait-on ?
- Utiliser un outil numérique simple pour mettre en forme le livre (ex: Canva, ou même un traitement de texte).
- Créer un QR code à ajouter au livre physique pour partager facilement la version numérique avec toute la famille.
Checklist d’audit de votre matrimoine culinaire
- Points de contact : Lister toutes les personnes (tantes, oncles, cousins) et les supports (vieux cahiers, boîtes à recettes) détenant des bribes du savoir culinaire familial.
- Collecte : Inventorier les recettes existantes, même incomplètes. Noter les noms de plats, les ingrédients clés et les souvenirs associés.
- Cohérence : Confronter les différentes versions d’une même recette. Ces variations racontent l’histoire de l’adaptation du plat dans la famille.
- Mémorabilité/émotion : Repérer les 5 recettes qui suscitent le plus d’émotions. Ce sont les piliers de votre livre, celles qui définissent le “goût” de votre famille.
- Plan d’intégration : Établir une liste de priorités : quelles recettes tester en premier ? Quelles histoires documenter d’urgence auprès des aînés ?
En initiant ce projet, vous ne faites pas que compiler des recettes ; vous devenez un maillon essentiel dans la chaîne de transmission, assurant que les saveurs et les récits de votre famille continueront de nourrir les générations futures.
Questions fréquentes sur la tourtière et le pâté à la viande
Quelle est la différence principale entre la tourtière et le pâté à la viande?
La tourtière est généralement un grand pâté contenant de gros morceaux de viande et de pommes de terre, tandis que le pâté à la viande est préparé avec de la viande hachée.
Dans quelles régions la tourtière est-elle appelée différemment?
Au Saguenay—Lac-St-Jean, elle est appelée tourtière avec des gros morceaux; dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, un plat similaire s’appelle le cipaille.
Quels types de viandes sont utilisés dans la tourtière traditionnelle?
Porc, bœuf, poulet, et parfois gibier comme le lièvre ou la perdrix.