
Contrairement à la croyance populaire, la personnalité d’un plat ne naît pas sur la langue, mais dans le nez, grâce à une architecture aromatique invisible qui se déploie dans le temps.
- La clé est la rétro-olfaction, le mécanisme qui nous fait « goûter » les arômes après avoir avalé.
- Un plat mémorable se construit comme un parfum, avec des notes de tête (fraîches), de cœur (rondes) et de fond (persistantes).
Recommandation : Pensez vos plats non plus en ingrédients, mais en couches d’arômes volatils, en utilisant les trésors du terroir québécois pour chaque strate de votre composition.
Pour tout cuisinier passionné, il existe une frustration subtile : celle de créer un plat techniquement parfait, aux saveurs équilibrées, mais qui, une fois le repas terminé, ne laisse aucune trace mémorable. Il était « bon », certes, mais il lui manquait une âme, une signature qui le rend inoubliable. Nous passons des heures à perfectionner l’équilibre entre le sucré, le salé, l’acide, l’amer et l’umami, pensant que le secret des grands chefs réside dans cette alchimie gustative. C’est une quête honorable, mais qui manque une dimension essentielle, celle qui sépare l’artisanat de l’art.
Le véritable secret ne se trouve pas dans ce que notre langue perçoit, mais dans ce que notre nez ressent, bien après que la bouchée a été avalée. Et si la clé pour créer des plats qui ont une véritable personnalité n’était pas dans la gastronomie, mais dans la parfumerie ? Si, pour qu’un plat raconte une histoire, il fallait le structurer non pas en saveurs, but en notes aromatiques qui se révèlent dans le temps, comme un parfum de créateur ? Cette approche transforme radicalement la manière de penser la cuisine : on ne cherche plus seulement à associer des goûts, mais à orchestrer une symphonie d’arômes qui évolue et surprend.
Cet article vous invite à un voyage au cœur de cette architecture invisible. Nous explorerons la science fascinante de la rétro-olfaction, nous apprendrons à parler le langage d’un parfumeur en cuisine, et nous décomposerons la création d’un plat en notes de tête, de cœur et de fond, en nous appuyant sur la richesse exceptionnelle du terroir québécois pour illustrer chaque concept. Préparez-vous à ne plus jamais voir (ni sentir) vos ingrédients de la même manière.
Pour illustrer la richesse que peut apporter une cuisson lente dans le développement d’arômes complexes, la vidéo suivante vous plonge au cœur d’un classique. Bien qu’il s’agisse d’une recette française, le bœuf bourguignon est l’exemple parfait d’un plat où les notes de cœur et de fond se construisent patiemment pour créer une profondeur inégalée.
Afin de naviguer dans cette exploration sensorielle, ce guide est structuré pour vous emmener progressivement de la science fondamentale à l’intuition créative. Chaque section est une étape pour vous apprendre à composer, et non plus seulement à cuisiner.
Sommaire : Déconstruire la personnalité d’un plat, des arômes à l’intuition
- Vous ne goûtez pas with your langue : le secret de la rétro-olfaction en cuisine
- Les « notes » de la cuisine : comment parler des arômes comme un parfumeur
- Construire un plat comme un parfum : l’art d’étager les arômes pour plus de complexité
- Le secret des saveurs « rôties » : maîtriser la réaction de Maillard pour des plats plus riches
- Le « dernier geste » qui change tout : comment réveiller un plat juste avant de le servir
- Le secret des plats addictifs : la science des 5 saveurs fondamentales
- Comment déguster un cidre de glace comme un professionnel pour en apprécier toutes les subtilités
- Devenir un chef intuitif : les secrets de l’association des saveurs pour ne plus jamais suivre une recette à la lettre
Vous ne goûtez pas avec votre langue : le secret de la rétro-olfaction en cuisine
Le concept qui révolutionne la compréhension du goût est la rétro-olfaction. Lorsque vous mâchez et avalez de la nourriture, l’air chargé de molécules aromatiques remonte de votre gorge vers la cavité nasale par l’arrière. C’est là, et non sur votre langue, que 80% de ce que nous appelons « goût » est en réalité perçu. Votre langue ne détecte que les cinq saveurs de base (salé, sucré, acide, amer, umami), tandis que votre nez décode des milliers d’arômes complexes qui donnent au plat sa véritable identité.
Comprendre ce mécanisme est la première étape pour devenir un architecte du goût. Cela signifie que la « longueur en bouche » d’un plat n’est pas une sensation gustative, mais la persistance des arômes dans votre cavité nasale. Un plat mémorable est un plat dont les arômes sont suffisamment complexes et bien structurés pour continuer à se révéler plusieurs secondes, voire minutes, après la déglutition. C’est la différence entre le flash gustatif d’un bonbon et la symphonie évolutive d’un grand vin.
Étude de cas : Dégustation comparée des fromages québécois
Une analyse pratique de la perception aromatique des fromages du Québec illustre parfaitement ce phénomène. Un fromage frais comme le cheddar en grains offre une expérience gustative immédiate, dominée par le salé et une légère acidité. À l’inverse, un fromage affiné comme le 1608 de Charlevoix révèle après 5 à 10 secondes de rétro-olfaction des arômes complexes de noisette et de champignon, totalement absents de la perception initiale sur la langue. C’est la signature aromatique qui crée la complexité et la valeur du produit.
Pour le cuisinier avancé, maîtriser la rétro-olfaction signifie créer intentionnellement des plats qui libèrent leurs arômes de manière séquentielle. Il ne s’agit plus de jeter des épices dans une poêle, mais de comprendre comment et quand leurs composés volatils seront libérés pour atteindre le nez du dégustateur.
Plan d’action : 5 techniques pour maximiser la rétro-olfaction
- Libération par la chaleur douce : Chauffez doucement les épices boréales comme le thé du labrador ou le myrique baumier dans une matière grasse. Cela libère leurs composés aromatiques les plus subtils sans les brûler, les préparant à être perçus en rétro-olfaction.
- Concentration à la vapeur : Utilisez la technique de la papillote avec des herbes fraîches locales. La vapeur concentre les arômes qui exploseront littéralement dans la cavité nasale à l’ouverture et à la dégustation.
- Création de longueur : Incorporez des champignons sauvages séchés et réhydratés dans vos sauces. Leurs composés umami et terreux sont peu volatils et créent une persistance aromatique remarquable.
- Finition hors du feu : Terminez vos plats avec une huile infusée maison (par exemple, une huile de canola au thé des bois) appliquée juste avant de servir. La chaleur du plat suffira à volatiliser les arômes les plus fragiles.
- Dégustation consciente : Entraînez-vous à expirer par le nez juste après avoir avalé une bouchée. C’est le geste clé pour percevoir consciemment la richesse des arômes secondaires et tertiaires que vous avez créés.
Les « notes » de la cuisine : comment parler des arômes comme un parfumeur
Une fois le principe de la rétro-olfaction acquis, il faut un langage pour décrire et organiser les arômes. C’est ici que la parfumerie nous offre un outil d’une puissance redoutable : la pyramide olfactive. Un parfum n’est pas un mélange chaotique d’odeurs, mais une structure temporelle composée de trois types de « notes » qui se succèdent en fonction de leur volatilité.
- Les notes de tête : Ce sont les plus volatiles, les plus légères. On les sent immédiatement, mais elles s’évaporent rapidement (en quelques secondes). En cuisine, ce sont les agrumes, les herbes fraîches, les vinaigres, les épices piquantes.
- Les notes de cœur : Moins volatiles, elles forment le « cœur » du parfum et apparaissent après les notes de tête. Elles sont plus rondes, plus complexes. En cuisine, ce sont les arômes de légumes rôtis, de fruits cuits, de fleurs.
- Les notes de fond : Ce sont les molécules les plus lourdes, les moins volatiles. Elles fixent le parfum et persistent longtemps. Ce sont les arômes boisés, fumés, musqués, ambrés. En cuisine, ce sont les saveurs de réduction, de fumage, de caramélisation profonde, d’épices comme la vanille ou le sapin baumier.
Penser un plat en ces termes, c’est concevoir une expérience qui évolue dans le temps. La première bouchée doit intriguer avec une note de tête fraîche et vive, suivie par la rondeur réconfortante d’une note de cœur, pour finir sur la persistance profonde et mémorable d’une note de fond. Le terroir québécois est une palette extraordinairement riche pour jouer cette symphonie.
Ce tableau classe quelques ingrédients emblématiques du Québec selon la structure d’un parfumeur. Il ne s’agit pas d’une science exacte, mais d’une grille de lecture pour commencer à penser vos ingrédients en termes de leur rôle aromatique et de leur timing de perception.
| Type de note | Ingrédients québécois | Caractéristiques aromatiques | Temps de perception |
|---|---|---|---|
| Notes de tête | Thé des bois, argousier, vinaigre de cidre de glace | Fraîches, volatiles, acidulées | 0-5 secondes |
| Notes de cœur | Courge rôtie, oignon caramélisé, pommes cuites | Rondes, sucrées, réconfortantes | 5-30 secondes |
| Notes de fond | Sirop d’érable foncé, sapin baumier, fumée d’érable | Persistantes, boisées, profondes | 30+ secondes |
L’illustration suivante permet de visualiser ces grandes familles aromatiques. Chaque groupe représente une palette de sensations que le cuisinier-parfumeur peut utiliser pour composer son œuvre.

Maîtriser ce langage est la clé pour passer d’une cuisine d’assemblage à une cuisine de composition. Vous ne choisissez plus un ingrédient pour ce qu’il « est », mais pour le rôle aromatique qu’il va jouer dans la chronologie de la dégustation.
Construire un plat comme un parfum : l’art d’étager les arômes pour plus de complexité
Savoir nommer les notes ne suffit pas ; il faut apprendre à les superposer. L’art de l’étagement (ou « layering ») consiste à intégrer des ingrédients à différents moments de la préparation et de la cuisson pour construire consciemment la pyramide aromatique. Chaque étape, de la marinade à la finition, est une opportunité d’ajouter une couche aromatique qui se révélera à un moment précis de la dégustation.
Un plat complexe n’est pas un plat avec « beaucoup d’ingrédients », mais un plat où chaque ingrédient a une fonction aromatique précise dans le temps. C’est une architecture qui se construit méthodiquement. La note de fond est souvent établie lors de la marinade ou de la cuisson lente, imprégnant l’ingrédient principal de saveurs profondes et persistantes. La note de cœur se développe pendant la cuisson principale, notamment via les réactions de Maillard et de caramélisation. Enfin, la note de tête est presque toujours ajoutée au dernier moment, juste avant le service, pour préserver sa volatilité et créer l’impact initial.
Comme le souligne le chef Arnaud Marchand de Chez Boulay, un ambassadeur de la cuisine boréale, « L’érable possède une grande versatilité. Il peut être utilisé aussi facilement dans les plats salés que dans les desserts. Sa saveur est unique et sa capacité à se marier avec les épices est surprenante. » Cette polyvalence en fait un ingrédient parfait pour créer des ponts entre les différentes notes.
Analyse du magret de canard laqué à l’érable : une symphonie aromatique en trois temps
Le chef Arnaud Marchand, dans sa cuisine, démontre parfaitement cet étagement chronologique des arômes. Dans un plat comme son magret de canard, la marinade au sirop d’érable (note de fond boisée) imprègne la viande pendant 24 heures. Ensuite, la cuisson à la poêle développe les arômes de noisette et de viande grillée de la réaction de Maillard (note de cœur). Finalement, une sauce vive à la camerise ou à l’argousier est ajoutée au moment du service, apportant une acidité fraîche et fruitée (note de tête) qui réveille le tout. Le résultat est une expérience gustative évolutive, où chaque bouchée semble différente de la précédente.
Cette approche méthodique est le contraire de l’improvisation. C’est un design sensoriel qui anticipe le parcours du dégustateur. Chaque couche est pensée pour compléter la précédente et préparer la suivante, créant une histoire cohérente et captivante du début à la fin.
Le secret des saveurs « rôties » : maîtriser la réaction de Maillard pour des plats plus riches
Si les notes de fond sont souvent issues de longues infusions et les notes de tête de touches finales, les notes de cœur, elles, naissent le plus souvent du feu. La réaction de Maillard est le processus chimique qui se produit entre les acides aminés et les sucres réducteurs des aliments lorsqu’ils sont chauffés. C’est elle qui est responsable de la couleur dorée du pain, de la croûte d’un steak et, surtout, de la création de centaines de nouveaux composés aromatiques complexes.
Maîtriser Maillard, c’est maîtriser l’art de créer des notes de cœur riches, complexes et réconfortantes : arômes de noisette, de café, de grillé, de viande rôtie, de caramel… Pour le cuisinier, cela signifie contrôler trois paramètres clés : la température, le temps et l’humidité. Une surface sèche est essentielle pour que la réaction se produise efficacement, car l’eau empêche la température de dépasser 100°C, alors que Maillard s’amorce réellement autour de 140°C. C’est pourquoi il est crucial de bien éponger une viande avant de la saisir.
L’application de ce principe aux produits du terroir québécois ouvre un univers de saveurs. Un panais de Charlevoix simplement bouilli est doux et sucré. Le même panais, rôti à la perfection, développe des arômes profonds de noisette et de caramel qui en font un ingrédient d’une toute autre stature. La maîtrise de cette réaction est une compétence non négociable pour quiconque cherche à construire la complexité aromatique.

L’image ci-dessus capture la magie de la transformation. Ce n’est pas juste un changement de couleur, c’est la naissance d’une nouvelle palette aromatique. Chaque zone plus ou moins caramélisée est une note différente sur la partition de votre plat.
Voici un guide pratique pour appliquer cette science spécifiquement aux trésors du garde-manger québécois :
- Température optimale : Pour les légumes-racines comme les panais de Charlevoix ou les topinambours, maintenez une température de four entre 140 et 165°C. Cela permet de développer les arômes de noisette sans amertume.
- Sécher la surface : Avant de saisir des pétoncles des Îles-de-la-Madeleine ou un morceau de viande, assurez-vous que leur surface est parfaitement sèche à l’aide de papier absorbant. C’est le secret pour obtenir une croûte dorée et non une texture bouillie.
- Utiliser le sucre : Badigeonner un jambon à l’érable toutes les 15 minutes pendant la cuisson permet de créer des couches successives de réaction de Maillard et de caramélisation, ajoutant une complexité incroyable.
- Contraste avec le fumage : Pour une pièce de saumon, combinez un fumage à chaud (environ 120°C) avec une saisie rapide finale (200°C). Vous combinez ainsi les notes de fond fumées avec les notes de cœur créées par Maillard.
Le « dernier geste » qui change tout : comment réveiller un plat juste avant de le servir
Un plat construit avec de magnifiques notes de cœur et de fond peut parfois sembler « lourd » ou monolithique. Il lui manque l’étincelle, la touche de lumière qui va le rendre vibrant et dynamique. C’est le rôle de la note de tête, appliquée lors du « dernier geste », juste avant que le plat ne quitte la cuisine. Ces arômes, les plus volatils, sont les premiers perçus par le nez du dégustateur. Ils créent l’accroche, la première impression qui doit être vive et intrigante.
Ce geste final peut prendre plusieurs formes : un zeste d’agrume, quelques feuilles d’herbe fraîche ciselée, un filet d’huile d’olive de qualité, un tour de moulin à poivre, ou, pour le cuisinier québécois moderne, une pincée de poudre d’épice boréale. L’important est que cet ajout se fasse hors du feu et au dernier moment, pour que ses composés aromatiques fragiles ne soient pas détruits par la chaleur et puissent s’exprimer pleinement.
Cette touche finale n’est pas une simple décoration. C’est un élément fonctionnel qui sert de contrepoint aux saveurs profondes du plat. L’acidité d’un vinaigre de cidre de glace va trancher dans le gras d’une viande braisée, la fraîcheur du thé des bois va illuminer un dessert crémeux. C’est un jeu de contrastes qui crée du relief et empêche le palais de se lasser.
L’art des finitions québécoises : poudres et huiles aromatiques boréales
Le chef Jean-Luc Boulay, du restaurant Le Saint-Amour, est un maître de ce dernier geste. Il utilise des poudres aromatiques boréales comme une signature. Une pincée de sa poudre de clavalier d’Amérique, un cousin du poivre de Sichuan, sur un plat de poisson juste avant le service, apporte une note citronnée, florale et légèrement anesthésiante qui transforme complètement l’expérience. Ces composés extrêmement volatils seraient perdus s’ils étaient ajoutés en cours de cuisson.
Le marché ne s’y trompe pas. L’intérêt pour des produits de finition de haute qualité, qui permettent d’apporter cette touche finale complexe, est en pleine expansion. Cette tendance est confirmée par les chiffres, puisque le marché québécois de l’alimentation spécialisée a enregistré une croissance de 3,6%, signe d’un intérêt grandissant des consommateurs et des chefs pour ces éléments qui apportent une signature unique. Ne sous-estimez jamais la puissance de ce geste final ; c’est souvent lui qui grave le plat dans la mémoire.
Le secret des plats addictifs : la science des 5 saveurs fondamentales
Si l’architecture aromatique est l’âme d’un plat, les cinq saveurs fondamentales — salé, sucré, acide, amer, umami — en sont le squelette. Un plat peut être une merveille olfactive, mais s’il manque d’équilibre gustatif, il s’effondrera. L’erreur commune est de les considérer séparément. En réalité, elles interagissent pour amplifier ou masquer les arômes.
Le sel, par exemple, n’est pas qu’un « goût salé » ; c’est un exhausteur universel qui réduit l’amertume et libère les molécules aromatiques. L’acidité allège les sensations grasses et donne de la « verticalité » à un plat, le rendant plus vibrant. Le sucré peut adoucir une acidité trop agressive ou une amertume marquée. L’amertume, en petite quantité, ajoute une complexité fascinante et stimule l’appétit. Mais la saveur la plus cruciale pour créer de la profondeur et une sensation de « reviens-y » est l’umami.
Souvent décrit comme un goût « savoureux » ou de bouillon, l’umami crée une sensation de rondeur et de satisfaction qui tapisse le palais et prolonge la perception des autres arômes. Le terroir québécois regorge de sources d’umami souvent sous-exploitées, qui sont des alliées précieuses pour construire les notes de fond et de cœur d’un plat.
Voici un guide pour identifier et utiliser les bombes d’umami de votre garde-manger québécois, afin de donner une profondeur instantanée à vos créations.
| Produit québécois | Intensité umami | Utilisation optimale | Accord suggéré |
|---|---|---|---|
| Alfred le Fermier (fromage affiné) | Élevée | Râpé sur plats chauds | Risotto aux champignons |
| Tomates séchées de l’Île d’Orléans | Moyenne-élevée | Fond de sauce | Pâtes, viandes braisées |
| Champignons sauvages séchés | Très élevée | Bouillon, réhydratation | Sauces, soupes |
| Sauce aux huîtres du St-Laurent (artisanale) | Élevée | Marinade, finition | Viandes grillées |
Pour rendre cela concret, prenons l’icône de la gastronomie québécoise, la poutine, et voyons comment elle peut être élevée au rang de plat gastronomique en équilibrant consciemment les cinq saveurs :
- Salé : Fromage en grains frais du jour, sauce brune riche en fond de veau.
- Umami : Ajout de champignons sauvages sautés, une touche de sauce soja locale ou de miso dans la sauce.
- Sucré : Une légère caramélisation des oignons ajoutés en garniture, une pointe de sirop d’érable dans la réduction de la sauce.
- Acide : Quelques gouttes de vinaigre de cidre de pomme pour couper le gras de la sauce, des cornichons maison en garniture.
- Amer : Une poignée d’herbes fraîches (persil plat, ciboulette) ou de roquette jetée sur le plat au service.
Comment déguster un cidre de glace comme un professionnel pour en apprécier toutes les subtilités
La dégustation d’un produit complexe comme le cidre de glace québécois est l’exercice ultime pour mettre en pratique tous les concepts que nous avons vus. C’est un produit qui est, par essence, une pyramide aromatique liquide. Apprendre à le déguster, c’est apprendre à écouter une histoire qui se déroule dans le temps, de la première senteur à la persistance finale.
La première étape est visuelle et olfactive directe. Observez la robe ambrée, signe de la concentration des sucres et des arômes. Avant même de goûter, portez le verre à votre nez. Vous percevrez les arômes primaires (les notes de tête), ceux qui proviennent directement du fruit : la pomme fraîche, la poire, des notes florales. Ce sont les arômes les plus volatils.
Ensuite, prenez une petite gorgée. Laissez le liquide tapisser votre palais, puis avalez. C’est maintenant que la rétro-olfaction commence son œuvre. En expirant doucement par le nez, vous sentirez apparaître les arômes secondaires (les notes de cœur). Nés de la fermentation, ils sont plus ronds et complexes : des notes beurrées, briochées, de miel. Enfin, patientez 10, 20, 30 secondes. La concentration en sucre du cidre de glace agit comme un fixateur, ralentissant l’évaporation des molécules les plus lourdes. C’est là qu’émergent les arômes tertiaires (les notes de fond), issus du vieillissement et de l’oxydation ménagée : caramel, fruits confits, noix, épices douces. C’est cette longueur, ce « sillage » aromatique, qui fait la marque d’un grand cidre de glace.
Analyse sensorielle du cidre de glace : de l’arôme primaire à la complexité tertiaire
L’analyse professionnelle d’un cidre de glace québécois révèle précisément ces trois niveaux. Les arômes primaires de pomme fraîche sont immédiats. Puis, après environ 5 secondes, la rétro-olfaction amène les notes secondaires de fermentation, rappelant la tarte Tatin. Finalement, la persistance aromatique, qui peut durer plus de 30 secondes, dévoile les arômes tertiaires de vieillissement comme le caramel au beurre salé et les fruits tropicaux confits. Cette évolution est la signature d’un produit d’exception, construit sur une architecture aromatique complexe.
Cet exercice de dégustation n’est pas réservé au vin ou au cidre. C’est une discipline que vous pouvez appliquer à chaque plat que vous créez. Goûtez. Avalez. Expirez par le nez. Et écoutez l’histoire que vos arômes racontent.
À retenir
- La majorité du « goût » est perçue par le nez via la rétro-olfaction, pas par la langue.
- Un plat mémorable se structure comme un parfum avec des notes de tête (volatiles), de cœur (rondes) et de fond (persistantes).
- Le terroir québécois offre une palette complète pour composer ces pyramides aromatiques, des épices boréales (tête) au sirop d’érable (fond).
Devenir un chef intuitif : les secrets de l’association des saveurs pour ne plus jamais suivre une recette à la lettre
Le but ultime de cette démarche n’est pas de vous enfermer dans des règles rigides, mais au contraire de vous en libérer. En comprenant les principes de l’architecture aromatique, de l’équilibre gustatif et des techniques de cuisson, vous développez une intuition de chef. Vous ne suivez plus une recette à la lettre, vous la lisez en comprenant le « pourquoi » de chaque étape, le rôle de chaque ingrédient. Et bientôt, vous n’avez plus besoin de recette du tout.
Face à un panier de produits de saison, le chef intuitif ne se demande pas « Quelle recette puis-je faire ? », mais « Quelle histoire puis-je raconter ? ». Il identifie son ingrédient principal, analyse son profil aromatique, et commence à composer mentalement sa pyramide. Il sait qu’à ses asperges printanières (notes de cœur végétales), il lui faudra une note de tête vive (zeste de citron, herbes fraîches) et une note de fond pour la profondeur (un umami de fromage affiné, le gras d’un beurre noisette).
Accords innovants par composés aromatiques : la synergie fraise et sapin baumier
L’intuition des grands chefs est de plus en plus confirmée par la science. L’accord surprenant entre la fraise du Québec et le sapin baumier n’est pas un hasard. L’analyse chromatographique montre que ces deux ingrédients partagent des molécules aromatiques communes, comme le linalol et le furaneol. En les associant, le chef ne fait pas qu’ajouter des saveurs ; il crée une synergie moléculaire. La note résineuse du sapin amplifie la perception fruitée de la fraise, créant une expérience gustative typiquement québécoise, évoquant à la fois le champ en été et la forêt boréale en hiver. C’est l’intuition validée par la science.
La « Symphonie du frigo québécois » est une méthode simple pour commencer à pratiquer cette intuition au quotidien :
- Identifier l’ingrédient star : Choisissez un produit de saison (ex: courge butternut en automne).
- Analyser son profil dominant : La courge offre des notes de cœur douces, sucrées, avec une pointe de noisette.
- Chercher un contraste de texture et de saveur : Le croquant de graines de citrouille grillées, l’acidité de canneberges séchées.
- Ajouter de la profondeur (note de fond) : La touche fumée de lardons, la saveur boisée du sirop d’érable foncé.
- Réveiller le tout (note de tête) : La fraîcheur d’une sauge ciselée ou d’une poudre de poivre des dunes juste avant de servir.
C’est en pratiquant cette gymnastique mentale que l’on passe de cuisinier à compositeur. Chaque plat devient une création unique, une expression de votre personnalité et de la richesse du terroir qui vous entoure. Vous ne cuisinez plus, vous dialoguez avec les arômes.
Maintenant que vous détenez les clés de l’architecture aromatique, l’étape suivante consiste à l’appliquer. Ouvrez votre réfrigérateur, choisissez un ingrédient et commencez à composer votre première symphonie, une note à la fois.